Éléments d’histoire

L’architecture des écoles primaires depuis le rapport Parent

Si l’exposition présente six concours organisés au Québec entre 2019 et 2020, dont cinq sous l’égide du gouvernement du Québec, il faut reconnaître que, depuis le concours provincial d’architecture pour les écoles primaires de 1964, les autorités publiques responsables des infrastructures scolaires, tant au Québec qu’au Canada, se sont fort peu risquées sur le terrain de l’innovation architecturale.

Le concours de 1964 formule une équation entre plans types et industrialisation

Organisé par le gouvernement du Québec, le concours provincial d’architecture pour les écoles primaires fut lancé en pleine Révolution tranquille, sous le regard attentif des autorités religieuses jusqu’alors chargées de l’éducation. Les écoles traditionnelles devaient faire place à de nouvelles organisations spatiales et un vaste chantier pédagogique s’amorçait avec la publication du désormais célèbre rapport Parent (1964). Ce qui est ressenti aujourd’hui comme la triste mémoire des lieux d’éducation dits « préfabriqués » n’est probablement pas ce qu’avaient prévu les organisateurs en matière de renouveau de l’architecture scolaire. L’analyse du rapport du jury révèle pourtant clairement l’importance démesurée de deux critères qui convergeaient sur un même principe : identifier de nouveaux plans types et vérifier qu’ils pourraient accommoder l’industrialisation de la construction.

Près de soixante années après sa parution, le rapport Parent fait aujourd’hui figure de document historique. Dirigé par Monseigneur Alphonse-Marie Parent, il fut publié en cinq volumes de près de 1500 pages par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement entre 1963 et 1964 et s’affirma comme un jalon de la Révolution tranquille au Québec. On y propose, ni plus ni moins, de créer un ministère de l’Éducation, de rendre la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, de créer des cégeps et, de façon générale, de démocratiser l’enseignement supérieur. Autant dire, comme l’écrira en 2002 Claude Corbo, ancien recteur de l’Université du Québec à Montréal, que l’on passe alors de l’éducation religieuse à l’éducation pour tous.

Présidé par l’architecte Jean Damphousse, le jury était composé des architectes Raymond Affleck, Jean Paul Carlhian, Alfred Roth, Victor Prus, et du « designer » François Lamy (entre guillemets dans les publications). Soulignons que le jury ne comportait pas d’expert en éducation ou de représentant du milieu scolaire, mais était composé d’un concepteur industriel et de cinq architectes, dont le célèbre Alfred Roth, ancien collaborateur de Le Corbusier et d’Alvar Aalto, considéré comme l’expert suisse en la matière pour avoir contribué au renouveau de l’architecture éducative dans les années 1950.

« Un jalon de la Révolution tranquille au Québec […] on passe alors de l’éducation religieuse à l’éducation pour tous. »

« Le projet de Melvin Charney est reconnu comme une « proposition intéressante de préfabrication » dont les escaliers de secours sont toutefois qualifiés de « prétentieux ». »

Soucieux d’identifier des plans types propices à l’industrialisation de la construction, le jury sélectionna quatorze projets, dont ceux de Melvin Charney, de Jean Michaud, du consortium Rosen, Caruso, Vecsei ou encore celui du consortium Ouellet, Reeves, Guité, Alain. Le rapport déclare sans ambages, pour tel projet, que « son caractère universel s’adapte à une préfabrication possible » puisque son « plan est clair et bien discipliné », pour tel autre, qu’il « se prête à l’agrandissement » ou que « le plan est bien organisé », que le « projet se prête à des possibilités d’expansion » ou encore que le « bon éclairage naturel des classes au moyen de lanterneaux est bien conçu ». Le projet de Melvin Charney est reconnu comme une « proposition intéressante de préfabrication » dont les escaliers de secours sont toutefois qualifiés de « prétentieux » : qualité inattendue pour de tels dispositifs. On déplore la « différence de niveaux entre la cafétéria et la salle commune » du beau projet moderniste de St-Gelais, Tremblay et Tremblay, tandis que l’extrême raffinement du projet de Rosen, Caruso, Vecsei, subtil et savant mélange d’emprunts aux architectures de Louis Kahn et d’Aldo van Eyck, fait en sorte que celui-ci est considéré comme un « projet bien étudié dans tous ses aspects », mais dont « l’abondance des murs extérieurs et l’excès des surfaces de circulation » fait craindre un « coût élevé de la construction ».

La publication comparative des résultats du concours en avril 1965, dans la seule revue québécoise spécialisée d’alors, Architecture – Bâtiment – Construction, eut un grand impact sur l’imagination des architectes pendant plus d’une décennie, avec des résultats parfois contestables; on le déplore encore aujourd’hui.

De fait, il n’y eut que de rares concours dans le domaine de l’éducation au Canada dans les années 1960 et 1970, essentiellement pour des universités, et il fallut attendre les années 1990 pour que le parc immobilier vieillissant impose de nouvelles consultations. Celles-ci seront fortement encouragées par les nombreuses études, essentiellement sociologiques, menées en particulier dans les contextes suisses et français. Mais, de façon caractéristique, et contrairement au recours systématique au concours pour les édifices scolaires dans tous les pays d’Europe, on peut s’étonner légitimement du fait que les écoles n’aient pas été considérées comme des questions architecturales essentielles en Amérique du Nord. Par comparaison, il se trouve peu d’écoles primaires ou secondaires et parfois maternelles qui ne soient passées par l’épreuve du concours dans des pays comme la France, la Suisse, l’Allemagne et tous les pays nordiques que l’on cite aujourd’hui en exemple dans toutes les discussions, dans tous les articles et dans les nouveaux programmes de concours au Québec, incluant ceux du Lab-École.

À la fin des années 1980, un modeste programme fédéral a toutefois donné lieu à un processus novateur de conception d’écoles en Colombie-Britannique grâce à l’architecte Marie-Odile Marceau, alors architecte régionale pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il s’agissait d’améliorer la qualité de l’architecture scolaire et de créer des formes architecturales signifiantes en impliquant la communauté autochtone locale tout au long du processus. Parmi les écoles issues de ce programme de conception et de concertation exemplaire, notons l’école Seabird Island de Agassiz (des architectes John et Patricia Patkau, en 1991) et l’école primaire Chief Matthews de Old Massett à Haida Gwaii (de la firme Acton Johnson Ostry Architects, en 1995). Deux rares projets récompensés par des prix d’excellence en architecture.

Résistances des autorités publiques à l’innovation architecturale

Comment expliquer que les lieux de scolarisation puissent forger et modeler ce que nous sommes et, dans le même temps, considérer, comme bien des décideurs publics, que l’on pourrait étudier et apprendre n’importe où? D’un côté, notre mémoire de la petite enfance reconnaît ce que notre éducation doit à l’expérience des lieux; de l’autre, nos politiques considèrent l’architecture comme secondaire aux équipements technologiques.

Car en image inversée, les statistiques sur le nombre de prix octroyés à l’architecture scolaire, tant au Québec qu’au Canada, confirment la méfiance des autorités éducatives dans la recherche de l’excellence ou de l’innovation. Sur une période de quatre décennies, moins d’une trentaine d’écoles primaires et secondaires canadiennes ont été primées. Au Québec, les projets récompensés se comptent sur les doigts d’une main : l’école primaire Baril (2019), le collège Saint-Louis (2015), l’école primaire Barclay (2014), l’école primaire de la Grande-Hermine (2009) et l’école secondaire Nikanik (1998).

Soixante années plus tard, l’histoire aura-t-elle raison de cette tendance à la normalisation?

Si l’on en juge par la réponse des autorités publiques depuis le concours de 1964, il y a de quoi craindre qu’un renouveau de la normalisation – fût-il centré sur la chaleur du bois, la couleur du ciel et la belle froideur industrielle de l’aluminium – ne soit qu’une répétition des erreurs du passé. La timidité des politiques publiques à l’égard de la qualité architecturale des édifices scolaires signifie aussi que les concepteurs – comme les chercheurs – doivent mieux fonder leurs arguments et leurs données lorsqu’il s’agit d’expliquer que la qualité architecturale contribue à déterminer les conditions d’apprentissage, voire à soutenir la réussite scolaire.

C’est dans ce contexte qu’il faut découvrir la richesse foisonnante des projets soumis aux différents concours présentés dans cette exposition.

Certes, la meilleure architecture ne pourra se substituer aux moyens consacrés à la pédagogie. On ne peut séparer la qualité des lieux de scolarisation de celle des encadrements pédagogiques. Il reste que la meilleure des enseignantes et le meilleur des professeurs ne peuvent enseigner de la même façon n’importe où, y compris, et peut être surtout, par écrans interposés.

Jean-Pierre Chupin, commissaire et Alexandra Paré, professeure du primaire et doctorante en architecture.